OLEIRO

année
2000 — 2013
catégorie
matériaux
Vinyl chrome autocollant. Texte écrit lors d’une résidence à Sousa, Nord Est Brésil

OLEIRO

année
2000 — 2013
catégorie
matériaux
Vinyl chrome autocollant. Texte écrit lors d’une résidence à Sousa, Nord Est Brésil

Quatre heures trente du matin. Les premiers hommes qui arrivent mettent à cuire du feijão, du milho, pêchent dans la rivière des piranhas, des piaus, des barbados, des cascudo-espinhos. En alimentant le feu ils parlent vite. L’un d’eux me demande à quoi ressemble un paysage vu d’avion. La lumière du lever du soleil est douce. Sous le chant des oiseaux, des ondes circulaires apparaissent chaque fois qu’un poisson attrape un insecte qui s’est posé sur la surface de la rivière. La terre est dure, il n’a pas plu depuis deux ans. Le plus âgé des hommes du chantier se nomme João Firme Pedrosa, je le regarde rouler une cigarette. Le temps de préparer la fibre de tabac dans le creux de sa main gauche, il colle le carré de papier fin sur sa lèvre inférieure : un petit drapeau blanc flotte au milieu de son visage. Pendant qu’il fume, il observe le travail des autres hommes, corrige des erreurs d’assemblage et les alignements. Ici, il est le seul homme à être encore capable de diriger la construction d’un four. Depuis quelques années, des briqueteries industrielles ont commencé à s’implanter dans la région. Sur toutes les briques, on trouve les empreintes des doigts qui les ont façonnées. La brique est un moment du processus de transformation de paysage. Un garçon vient d’arriver en vélo. Il apporte des fruits pour son grand-père. Les autres hommes lui disent de rentrer. Le vieux commence à peler un fruit, l’enfant n’a pas envie de partir. Une fronde est accrochée à sa ceinture. Il s’assoit à l’ombre d’un arbre, dénoue un chiffon rempli de petites pierres, lève la tête et cherche des oiseaux. En montant sur le sommet du four, j’ai trouvé entre deux briques sèches, une cigale recroquevillée à l’intérieur d’un cocon brillant noir et rouge. Nous pouvions le tourner, le retourner, nous la sentions bouger, le cocon restait fermé. J’ai entendu chanter la garça ou le galo de campina, mais le bem-te-vi est l’oiseau qui semble chanter le plus souvent. Les brésiliens utilisent le nom de cet oiseau pour tenter d’empêcher les enfants de faire des bêtises en leur absence. Ils leur disent que l’oiseau viendra rapporter leurs actions puisqu’il se nomme « Je t’ai bien vu ». Dès que l’on connaît son nom, on entend effectivement dans son chant, « bem te vi ».

Hier je suis restée pour assister à la cuisson du four pendant le début de la nuit. J’ai eu peur subitement de l’obscurité et des hommes qui commençaient à boire.

Après cinq jours nécessaires à son refroidissement, les hommes enlèvent les deux premières couches de brique noires qu’ils appellent « la casca ». L'extraction de cette pelure laisse alors apparaître l'étonnante pyramide rouge-terre-cuite convoitée. Il fait quarante degrés à l’ombre.  

  • Carmen Perrin
© carmen perrin